Le Statuaire et la Statue de Jupiter Un bloc de marbre était si beau Qu’un statuaire en fit l’emplette. « Qu’en fera, dit-il, mon ciseau ? Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ? Il sera Dieu ; même je veux Qu’il ait en sa main un tonnerre. Tremblez, humains. Faites des vœux ; Voilà le Maître de la terre. » L’artisan exprima si bien Le caractère de l’idole, Qu’on trouva qu’il ne manquait rien À Jupiter que la parole : Même l’on dit que l’ouvrier Eut à peine achevé l’image, Qu’on le vit frémir le premier, Et redouter son propre ouvrage. À la faiblesse du sculpteur Le poète autrefois n’en dut guère, Des dieux dont il fut l’inventeur Craignant la haine et la colère. Il était enfant en ceci ; Les enfants n’ont l’âme occupée Que du continuel souci Qu’on ne fâche point leur poupée. Le cœur suit aisément l’esprit : De cette source est descendue L’erreur païenne, qui se vit Chez tant de peuples répandue. Ils embrassaient violemment Les intérêts de leur chimère : Pygmalion devint amant De la Vénus dont il fut père. Chacun tourne en réalités, Autant qu’il peut, ses propres songes : L’homme est de glace aux vérités ; Il est de feu pour les mensonges. Jean de la Fontaine – (1621 – 1695) La Fontaine a imité Horace dans cette fable.
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